Les Marais salants de Guérande et du Mes, France

15 septembre 1996

[L’article ci-dessous ne décrit pas seulement les paysages des marais salants du littoral atlantique ainsi que la faune et la flore qu’ils abritent. Il nous initie au travail des paludiers, qui exploitent les marais salants en respectant le milieu qui leur fournit un gagne-pain - un exemple d’utilisation des ressources naturelles qui se veut rationnelle et durable, dans le respect de la diversité de la végétation et des espèces animales. N.B. L’opinion de l’auteur, exprimée dans cet article, ne reflète pas nécessairement celle du Bureau de la Convention de Ramsar.]


Les marais salants de Guérande et du Mes

Hjalmar DAHM, Chargé de Mission, Syndicat Intercommunal de la Côte d’Amour et de la Presqu’île Guérandaise, B.P. 64, F-44503 LA BAULE cédex tél (33) 02 51 75 06 80, fax (33) 02 51 75 08 00

Les 2000 hectares de marais salants de Guérande et du Mes se trouvent sur le littoral atlantique, dans le sud de la Bretagne en France. Ils constituent un site remarquable du patrimoine mondial. Ces marais salants sont les plus septentrionaux d’Europe.

Depuis plus de 1000 ans, les paludiers ont créé ce paysage qui s’avère être l’un des aménagements les plus "écologiques" jamais réalisés par l’homme. Ici, il a su entretenir et préserver ce vaste marais saumâtre, sans nuire à l’équilibre naturel. Ce milieu est très riche en vie : la présence de nombreuses espèces d’oiseaux en témoigne. Ce sont aussi des espaces rares et menacés. Face à l’assèchement des marais côtiers et au bétonnage de tout le littoral atlantique européen, les marais salants forment un "poumon" vert, bleu, rose, beau et vivant. Le sel que l’on produit dans les marais salants de Guérande est un sel naturel, récolté d’une façon artisanale. Il est d’une très haute qualité nutritive du fait de sa richesse en divers oligo-éléments. Il a un goût excellent.

C’est donc un site exceptionnel à préserver pour le bonheur des gens qui y travaillent, les paludiers, pour tous les habitants et visiteurs de la Presqu’île - et aussi pour les nombreux oiseaux qui viennent y nicher ou passer l’hiver.

Depuis l’automne 1995, les marais salants de Guérande et du Mes sont reconnus comme zone humide d’importance internationale selon la Convention de Ramsar, sur un total de 5000 hectares.

Le Sel de Guérande - hier et aujourd’hui

Le sel de la Presqu’île a une longue histoire. Nous savons, grâce aux premiers témoignages écrits, que la technique actuelle d’exploitation des marais salants sur la Presqu’île, est antérieure au IXème siècle. La création des salines s’est étendue sur plusieurs siècles. Vers l’an 1500, les marais salants atteignaient 80% de la surface actuelle. Entre 1560 et 1660, grâce au développement du commerce maritime, 2500 œillets (unités d’exploitation, bassins de cristallisation) seront construits. Les dernières salines sur le bassin de Guérande ont été construites vers 1800 et quelques décennies plus tard sur le bassin du Mes. Mais un abandon progressif commence dès le milieu du 19ème siècle.

L’abandon du plus grand nombre de ces sites s’est fait entre 1840 et 1960 face à la concurrence du sel de mine de différents pays et du sel de mer de Méditerranée. Les autres raisons sont la baisse de la consommation du sel alimentaire comme produit de conservation des aliments et l’amélioration des transports par voie terrestre. A certaines périodes, les guerres incessantes ont rendu le transport du sel sur la mer difficile.

Aujourd'hui, la production salicole s’effectue sur les marais salants de Guérande, du Mes et - plus au sud - Noirmoutier et l'Ile de Ré, ainsi que quelques salines isolées à Beauvoir et à l'Ile d'Olonne, restent voués à la production salicole. Il faut signaler que, sur tous ces sites, la surface totale exploitée a diminué depuis le siècle dernier.

La production du sel de l’Ouest est faible aujourd’hui, comparée à celle des salins de la Méditerranée. Mais il faut insister sur le fait que les producteurs des salines atlantiques visent avant tout à fournir un sel de haute qualité culinaire.

L'exploitation actuelle

Le déclin de l'exploitation des marais salants ne date pas d'aujourd'hui. Nous constatons que la baisse du nombre de paludiers et d'œillets exploités est importante depuis le siècle dernier. Cette baisse continue aujourd'hui; le nombre d'œillets exploités n'a jamais été aussi bas dans l'histoire. Tous les efforts des professionnels du sel et des collectivités locales n'ont pu jusqu’à présent enrayer l'abandon des marais.

La production aujourd’hui

Les années 70 et 80 ont redonné l’espoir de voir le nombre de paludiers dépasser les 200. Ils ont su s’organiser et défendre leur produit face à la concurrence. Le stage professionnel, mis en place en 1979, a permis un rajeunissement et un renouvellement de la profession. Le sel de Guérande est aujourd’hui reconnu comme un produit de haute qualité. Et le site est défendu pour sa richesse biologique et sa qualité esthétique. Donc, même si le nombre de paludiers n’atteint pas 200, à cause des nombreux départs en retraite depuis 1990, l’avenir ne semble pas bouché.

En 1989, le Groupement des Producteurs de Sel s’est constitué en coopérative agricole qui, grâce à une politique de qualité et de promotion, a réussi à augmenter les ventes. Le Groupement est sûrement la structure la plus dynamique des marais. Pour mieux maîtriser la commercialisation du sel elle a, en 1992, racheté une société de production et de vente: les Salines de Guérande. Cette société commercialise, outre le sel, des salicornes et des vinaigres. Aujourd’hui, le Groupement et les Salines de Guérande emploient plus de 20 personnes à l’année.

L’une des difficultés de la commercialisation du sel de Guérande, est l’irrégularité de la production. Certaines années, sèches et chaudes, donnent beaucoup de sel, mais les paludiers connaissent très souvent des "petites années".

Le sel de Guérande : un condiment pas comme les autres

Le sel de Guérande est apprécié depuis longtemps par les consommateurs. De grands restaurateurs emploient le gros sel dans leurs meilleures recettes et présentent de la fleur de sel sur leurs tables. Ceci illustre bien que le sel de Guérande n’est plus un produit banal.

Ces dernières années, les producteurs ont fait d’énormes efforts pour améliorer la qualité de leur produit. Aujourd’hui, les coopérateurs contrôlent la qualité de leur sel à chaque récolte. Le sel de la Coopérative est trié et tamisé pour offrir la meilleure qualité. Il est toujours vendu sans traitement chimique et sans additifs, donc à l’état naturel.

La salicorne

La salicorne est une plante halophile qui pousse sur les vases salées des marais salants. Elle est réputée pour ses qualités diurétiques et gastronomiques. Les jeunes pousses sont préparées au vinaigre comme les cornichons ou dégustées cuites comme des haricots verts. Au cours de l’été, les salicornes qui étaient vertes, rougissent et durcissent. Elles forment de beau tapis rouges sur les fonds de certains bassins. En dehors de l’homme, on sait que les oiseaux, comme la Linotte mélodieuse, sont très friands des graines de salicorne. Cette plante parmi tant d’autres joue donc un rôle biologique important.

Les paludiers de Guérande

Le paludier, "l'homme du marais", est le nom donné aux exploitants des marais salants de Guérande et de Mesquer (on les appelle sauniers au sud de la Loire). Son travail est un subtil mélange de savoir-faire, d'assimilation de techniques héritées des anciens, d'observation du milieu et des conditions météorologiques, de force, de patience et de sensibilité. Plus qu'un métier, être paludier est également un art. Il est aujourd'hui l'un des rares métiers agricoles qui soit presque exclusivement manuel et qui nécessite une technique exempte de mécanisation et d'apports de produits chimiques. Avant 1980 il apprenait le métier de ses parents, mais depuis l’instauration d’un stage professionnel en 1979, les jeunes paludiers viennent aujourd’hui de divers horizons et ont souvent une autre formation ou un métier antérieur. Ceci a créé une nouvelle dynamique dans les marais salants et une plus grande ouverture vers l’extérieur.

Le travail du paludier

Le paludier, contrairement à ce que pensent beaucoup de gens, œuvre toute l'année. Les saisons rythment son travail :

La fin de l’automne et l'hiver sont consacrés à l'entretien des talus (renforcement, coupe de la végétation), le nettoyage des chenaux d'alimentation et d'évacuation (étiers et bondres) et le curage de la vasière.

Au printemps, la saline est nettoyée et restaurée. C'est avec beaucoup de soin que ce travail, toujours manuel, est effectué. Il s'agit d'évacuer la vase et les algues et de renforcer les levées d'argile ("ponts") qui séparent les bassins. En été (rarement avant le 15 juin), l'eau arrive à saturation dans les oeillets. La récolte du sel peut alors commencer. Si le temps le permet, la récolte est quotidienne. Une année moyenne ne comprend que 30 à 40 jours de récolte, car la saison est souvent entrecoupée de pluies qui, pendant un temps plus ou moins long, empêchent la cristallisation.

Après la saison, qui peut durer jusqu'à fin septembre, le paludier entreprend l'acheminement du sel vers les lieux de stockage, qu’on appelle salorges. Les salorges ont une forme particulière. Les plus anciennes sont en pierre et les autres sont en bois peint en noir.

La flore et la faune des marais salants

La richesse biologique des marais salants est reconnue depuis longtemps. Les marais salants et les traicts présentent à eux seuls une grande variété de milieux favorables à l’installation de différents types de végétation typiques des zones humides et saumâtres. On y trouve les plantes caractéristiques adaptées à la vie dans un sol plus ou moins salé. Il s’y développe une nourriture abondante et un grand nombre d’oiseaux niche ou y passe l’hiver, dans une tranquillité relative.

Les coteaux, aux alentours immédiats, avec leur champs et leurs bois, complètent la diversité des milieux naturels de la Presqu’île.

Les traicts

Les traicts sont les étendues argilo-sableuses reliant la mer et les salines. Ces zones sont couvertes par la marée deux fois par jour. Une végétation dense et rase de Spartines et de Salicornes s’installe sur les parties les plus hautes, submergées seulement aux grandes marées. A marée basse, on peut observer les parcs ostréicoles et voir beaucoup de gens au travail. La richesse du milieu et la proximité des marais salants, se traduit par une forte production de planctons microscopiques qui nourrit les huîtres, les palourdes, les moules et les coques dans les parcs. D’autre part, une multitude d’oiseaux, des Huîtriers pie, des Courlis, des Pluviers, viennent chercher leur nourriture dans les traicts. Ils vont trouver des vers, des coquillages, des poissons et des crustacés en abondance.

Les étiers

Les étiers sont de long canaux, larges de plusieurs mètres. La marée monte dans les étiers et leurs ramifications, les bondres, pour alimenter les vasières en eau de mer. Sur les bords des étiers et des bondres, la végétation est très dense, ne dépassant pas les 50 cm, elle est dominée par les Salicornes, les Obiones , et les Soudes maritimes. Au début de l’été, les Statices et les Asters maritimes parsèment de tâches mauves cette végétation gris-vert. En haut des talus poussent des buissons de Soudes ligneuses, lieu idéal pour les nids de Gorge-bleues, oiseaux typiques des marais salants. A la marée montante, on trouve un grand nombre de poissons (Bars, Mulets) dans les étiers. Ils se nourrissent de crabes, de crevettes et de certaines plantes. A marée basse, il n’est pas rare de voir une Aigrette garzette pêcher dans les cuvettes d’eau, à la recherche de crevettes ou de petits poissons.

La vasière

Les vasières ont souvent une taille supérieure à un hectare et alimentent parfois plusieurs salines. A certains moments de l’année, les algues vertes les recouvrent. La vasière grouille de vie sous la surface de l’eau. Il suffit pour le deviner d’observer un Héron cendré qui guette ses proies au détour d’un talus. Tous les deux ans, le paludier effectue le nettoyage (le rayage) de la vasière. C’est à ce moment que l’on découvre la densité et la diversité des animaux: crevettes, crabes, anguilles, mulets et plies. Traditionnellement la pêche à l’anguille avait une importance économique.

La saline

L’eau dans la saline, surtout en été, a une concentration en sel très élevée. Cela ne facilite pas l’installation des plantes et des animaux. Mais la saline est cependant loin d’être sans vie. Sur les ponts qui séparent les bassins, poussent des Salicornes. Une multitude d’insectes et d’araignées s’y trouvent en milieu favorable. Les Bécasseaux vont chercher leur nourriture dans les fissures de l’argile. Dans l’eau - surtout dans les bassins où l’eau est la moins salée (le cobier et les premiers fares) - on peut observer des coléoptères et d’autres insectes. Au fond, des crustacés et des vers creusent des galeries. En plein été, dans les œillets, les œufs d’un petit crustacé, l’Artémia, vont éclore. Malgré leur transparence, ces animaux de quelques millimètres seulement, sont facilement visibles tant ils sont nombreux.

Les secteurs abandonnés

Bon nombre de salines et de vasières sont aujourd’hui abandonnées. Mais ces "friches" font partie de la variété de milieux naturels des marais salants et jouent un rôle écologique important. Les paludiers souhaitent sauvegarder ces salines, de préférence pour qu’elles soient remises en exploitation salicole dans l’avenir. De plus en plus de paludiers les maintiennent en eau pour éviter l’assèchement des fonds. Celles proches des coteaux ont une eau très peu salée. Des touffes de joncs et des roselières, plus ou moins denses, peuvent alors s’implanter, pour le bonheur de certains oiseaux, tel que la Foulque, la Poule d’eau, les canards, le Busard des roseaux, la Mésange à moustaches ou la Rousserolle effarvatte. L’eau peu salée convient parfaitement aux amphibiens, tels que la Rainette verte, le Crapaud calamite ou le Pélodyte ponctué. La végétation des talus n’est pas entretenue dans ces secteurs. Des bosquets de Tamaris et de Chênes verts procurent d’excellents abris à toute une faune de reptiles (lézards et serpents), de petits mammifères et d’oiseaux.

Ces zones délaissées ne sont pas réellement abandonnées. Elles forment en fait une bande de protection entre les coteaux et les marais exploités. Hélas! bon nombre de ces secteurs sont menacés par l’assèchement. Ils ont parfois été comblés et pour la construction de nouvelles routes, de parkings, ou même d’immeubles.

Quelques mots sur les oiseaux

Près de 180 espèces d’oiseaux ont été observées depuis le début du 20ème siècle dans les marais salants du Mes et de Guérande ou dans les alentours. Soixante-douze d’entre elles nichent ici. Six espèces (Aigrette garzette, Spatule blanche, Busard des roseaux, Avocette, Sterne pierregarin et Gorge-bleue) sont à l’origine d’une classification des marais en Zone Importante pour la Conservation des Oiseaux (ZICO).

Les marais salants font également partie d'un vaste ensemble de sites marécageux du littoral (l'Estuaire de la Loire, la Grande Brière, l'Estuaire de la Vilaine, le Golfe du Morbihan, Lac de Grand-Lieu), d'où leur importance pour les oiseaux nicheurs, migrateurs et hivernants. En hiver plusieurs espèces de canards, de grèbes, de limicoles et des centaines de Bernaches cravants trouvent ici un milieu riche en nourriture.

L’étude des marais salants de Guérande fait prendre conscience de la richesse et de l’importance des marais et des zones humides, qui sont des milieux très menacés par l’homme dans le monde entier. Depuis très longtemps, les marécages ont représenté des zones dites insalubres qu’il fallait à tout prix assécher, valoriser et cultiver. Or, on se rend compte à présent de la richesse que représente les zones humides pour leur grande biodiversité. Les plantes et les animaux sauvages ne sont pas les seuls à profiter de ces lieux. L’Homme également, doit comprendre que ses activités économiques (pêche, ostréiculture etc...), et sa qualité de vie (rôle de "poumon vert", beauté du paysage...) dépendent en partie de l’existence de ce type de milieu.

Comment protéger les marais salants

Les acteurs locaux, notamment les paludiers, ont depuis longtemps souhaité une protection juridique efficace des marais salants, pour éviter les menaces : comblements, aquaculture intensive, création de routes et de ports de plaisance et pression touristique trop intense. Ceci risque de mettre en péril non seulement le travail des paludiers, mais aussi la survie de ce site unique.

Quelques mesures ont déjà été prises