Les Ateliers de la Terre

31 août 2011

 

Les Ateliers de la Terre - Planet Workshops

La Convention de Ramsar sur les zones humides : 40 ans d’actions

Quatre décennies après sa signature, la Convention de Ramsar sur les Zones Humides tire un bilan positif des actions mises en œuvre et réaffirme l’importance vitale des écosystèmes humides pour le développement durable.

Anada Tiéga
Secrétaire Général de la Convention de Ramsar


Les Zones Humides

Les Zones Humides sont les infrastructures naturelles que l’on retrouve de la montagne à la mer, y compris les fleuves et leurs affluents, les plaines inondables, les lacs, les estuaires, les deltas, les tourbières, les oasis, les zones côtières, y compris les mangroves et les récifs coralliens, et bien d'autres.

La Convention de Ramsar sur les Zones Humides

Le 2 février 2011 marque le 40eme Anniversaire de la Convention de Ramsar sur les Zones Humides, signée dans la ville de Ramsar en Iran, le 2 févier 1971. La Convention de Ramsar sur les Zones Humides œuvre pour la conservation et l'utilisation rationnelle des 42 types de Zones Humides comme atouts importants pour différents secteurs tels que l'agriculture et la sécurité alimentaire, la foresterie, l'énergie, l'approvisionnement en eau, la santé, les agglomérations urbaines et rurales, l’industrie, le tourisme, la faune, le commerce et le transport qui contribuent au développement socio-économique durable.

La mission de la Convention de Ramsar

La mission de Ramsar est mondiale et concerne la conservation et l’utilisation rationnelle des Zones Humides par des actions locales et nationales et par la coopération internationale, en tant que contribution à la réalisation du développement durable dans le monde entier. La Convention s’appuie sur 3 piliers qui sont : l’utilisation rationnelle des Zones Humides, la désignation de Zones Humides d’importance internationale (connues sous le nom de Sites Ramsar) et l’instauration de la Coopération Internationale pour renforcer la conservation et l’utilisation rationnelle des Zones Humides.

Le bilan de 40 ans de mise en œuvre

En 40 ans beaucoup de choses ont été réalisées. La signature de la Convention sur les Zones Humides, à Ramsar, Iran, en 1971, par les représentants de 18 nations fut le couronnement de 9 ans de travail assidu et d’habile diplomatie déployée par de nombreuses personnes dévouées à la cause. Quarante ans ont passé et la Convention compte aujourd’hui 160 pays signataires – quasiment le nombre initial multiplié par neuf – nous pouvons apprécier les progrès remarquables qui ont été accomplis. La Convention est devenue le fer de lance des efforts déployés au niveau mondial pour conserver et utiliser durablement les Zones Humides et leurs ressources en eau, ainsi que la diversité de la vie qui en dépend.

Valeurs vitales des zones humides

De nombreux économistes estiment aujourd’hui que les services fournis par les zones humides dépassent 14 000 milliards de $US par an. Certaines valeurs restent difficiles à estimer en termes économiques bien qu’elles représentent des aspects vitaux. Ainsi par exemple, la protection des vies humaines contre les effets néfastes des inondations ne peut être chiffrée en termes économiques. Pourtant les zones humides comme les mangroves sont essentielles pour la sauvegarde de vies humaines en cas de tempêtes tropicales connues sous les noms de cyclones, typhons ou ouragans.

Certaines valeurs des zones humides ne touchent pas directement des intérêts individuels ou particuliers mais elles restent vitales pour la société en général. C’est le cas des plaines d’inondation qui réduisent les effets néfastes des pluies exceptionnelles. C’est aussi le cas des tourbières qui, au cours de millénaires, ont stocké des quantités de carbone qui sont aujourd’hui supérieures à ce que peuvent stocker toutes les forêts tropicales. Quarante ans après la signature de la Convention de Ramsar, c’est seulement maintenant que le monde commence à comprendre le rôle des zones humides dans l’adaptation et la mitigation des effets des changements climatiques.

La prise de conscience de toutes les valeurs des zones humides est un préalable pour que les décideurs aux niveaux local, national et international prennent les bonnes décisions pour gérer et utiliser durablement ce patrimoine indispensable à la vie sur terre. Les opérations de restauration et de valorisation des Zones Humides aboutissent non seulement à dégager de précieuses incitations économiques et des moyens de subsistance, mais fournissent également des ressources supplémentaires et des opportunités d'engager des secteurs plus larges pour la conservation de la biodiversité et l’adaptation aux changements climatiques.

Les Zones Humides et les Changements Climatiques

L’évaluation des écosystèmes pour le millénaire établit une situation claire de l'état des Zones Humides de la planète et de la nécessité de leur restauration pour l'atténuation et pour l'adaptation aux changements climatiques.

En matière d'atténuation des changements climatiques: les Zones Humides sont des stocks de carbone, en particulier les tourbières, les vasières, les mangroves et les Zones Humides boisées.

En ce qui concerne notamment les tourbières, il peut paraitre surprenant de savoir que les tourbières peuvent absorber plus de carbone par hectare et par an que les forêts existantes. C’est pourtant ce que nous révèlent des études scientifiques menées dans le cadre d’un programme conjoint entre le Fonds pour l’Environnement Mondial, le Programme des Nations Unies pour l’Environnement, Wetlands International et des ONGs en Asie. 

Cette étude fait le point au niveau mondial sur les liens étroits entre la dégradation des tourbières et le changement climatique et révèle que la destruction et le drainage des tourbières ainsi que les feux sur les tourbières émettent plus de 3 milliards de tonnes de gaz carbonique chaque année, ce qui correspond à 10% des émissions mondiales à partir des carburants fossiles. Ainsi, la protection et la restauration des tourbières comptent parmi les options les plus efficaces et les moins couteuses pour la mitigation des changements climatiques.

Une autre étude estime que les tourbières contiennent en moyenne 5,000 tonnes de carbone par hectare et absorbent environ 0.7 tonnes par hectare par an de carbone contenu dans l’air. Globalement, les tourbières contiennent plus de carbone que toutes les forêts tropicales du monde y compris celles de l’Amazonie, du Bassin du Congo et d’Indonésie.

A ce titre, il est crucial de reconnaître que toutes les forêts les plus importantes du globe existent par le fait qu’elles sont soutenues et entretenues par des réseaux de zones humides que constituent les bassins hydrologiques de l’Amazonie, du Congo et de l’Indonésie. Aucune de ces forêts majestueuses ne saurait exister et ne saurait contenir la diversité biologique qui les caractérise sans le réseau dense de zones humides qui soutiennent et nourrissent la vie. A ce sujet, l’Amazonie a elle seule est constituée de plus de 1100 affluents, dont 17 ont plus de 1500 kilomètres de long. Les sécheresses de 1997-98 et surtout celle de 2005 ont montré la fragilité du système et nous savons aujourd’hui que la forêt amazonienne ne pourra pas supporter 5 années de sécheresse ininterrompue. Ainsi, l’Amazone qui couvre le bassin hydrologique le plus étendu du monde, avec environ 7050 000 km2, reçoit l’équivalent d’un cinquième du volume total des eaux fluviales du monde et abrite la forêt la plus riche et la plus diversifiée.

Pour l'adaptation aux changements climatiques: il s’agit de faire le lien avec les services des écosystèmes, en particulier la valeur des denrées alimentaires provenant des Zones Humides, et l’approvisionnement en eau douce.

Les défis que posent l’eau et l’agriculture durable sur les Zones Humides

La Convention de Ramsar, ses Parties Contractantes, ses Organes et ses Partenaires soulignent constamment le défi spécial que pose l'eau à mesure que le changement climatique rendra les précipitations de moins en moins fiables. Pour ce faire l'investissement pour une gestion rationnelle de l'eau devrait être une priorité. Les politiques agricoles peuvent proposer des systèmes efficaces et durables de gestion des ressources naturelles. On peut également soutenir les agriculteurs par le biais de dispositions et mesures incitatives législatives et financières les aidant à réaliser des investissements durables qui respectent l’environnement. Les politiques foncières et de gestion de l’eau peuvent garantir l’accès et les droits sur ces ressources, et promouvoir des pratiques de gestion durable.

L’interdépendance entre les zones humides, l’eau, d’autres ressources naturelles et l’agriculture

Les textes de la Convention de Ramsar mettent en exergue l’« interdépendance de l’Homme et de son environnement et les fonctions écologiques fondamentales des zones humides en tant que régulatrices du cycle de l’eau ». Ainsi les zones humides constituent un ensemble de ressources de grandes valeurs économique, culturelle, scientifique et récréative. Les écosystèmes des zones humides, sous leurs formes, tailles et caractères variés, font partie intégrante du cycle hydrologique et ont une importance capitale dans l’optimisation de la quantité, de la qualité et de la fiabilité de l’eau dans ses divers états (liquide, glace ou neige, vapeur) au cours de son cycle.

En conséquence, les stratégies de protection et d’utilisation des ressources en eau (y compris l’agriculture) doivent être considérées de façon interdépendante, et ont besoin d’être efficaces et performantes afin d’optimiser et de maintenir les services fournis par les écosystèmes, ainsi que la production agricole, industrielle et énergétique desquelles nous dépendons.

Impacts du changement climatique sur l’eau et les zones humides

Il n’y a aucun doute que l’eau et les zones humides qui sont faciles d’accès dépendent de l’endroit et du moment où la pluie et la neige tombent. Malgré le fait que les scientifiques aient reconnu ne jamais être en mesure de déterminer de façon certaine l’étendue du réchauffement de la planète, ils ont toutefois reconnu que cela ne constitue pas une excuse pour retarder l’action. Les conclusions du Quatrième Rapport d’évaluation du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) (Pachauri, R.K. and Reisinger, A. (Eds.), 2007) révèlent que :

  • La surface des régions affectées par la sécheresse va probablement augmenter. Les fortes pluies, qui seront probablement plus fréquentes, vont accroître les risques d’inondations.
  • Concernant les changements affectant la neige, la glace et le gélisol, nous avons la certitude que les systèmes naturels sont affectés par l’agrandissement et le nombre croissant de lacs glaciaires, l’instabilité croissante du sol dans les régions à pergélisol, les avalanches de roches dans les régions montagneuses, et les changements dans certains écosystèmes Arctiques et Antarctiques.
  • Les effets sur les systèmes hydrologiques sont dus à un ruissellement accru et au débit optimal du printemps précoce dans plusieurs fleuves alimentés par les glaciers et la neige [et] le réchauffement des lacs et fleuves dans de nombreuses régions avec des répercussions sur la structure thermique et la qualité de l’eau.


Les conséquences du changement climatique sur les plantes et la faune

Le Quatrième Rapport du GIEC (Pachauri, R.K. et Reisinger, A. (Eds.), 2007) (op.cit) déclare que sur la base de preuves recueillies sur une grande variété d’espèces, il est très certain que le récent réchauffement a affecté de façon profonde les systèmes terrestres biologiques, y compris une apparition précoce des caractéristiques du printemps, à savoir le déploiement des feuilles, la migration des oiseaux, et la ponte. Dans de nombreuses régions, il y a eu une tendance au ‘verdissement’ précoce de la végétation au printemps, relié à des saisons de croissance chaudes plus longues.

Le savoir conventionnel basé sur des recherches précédentes, soutenait que la productivité des plantes terrestres est à la hausse. Un article de 2003 dans la revue Science par R. Nemani et al, a montré que la production mondiale de plantes terrestres a augmenté de plus de 6% entre 1982 et 1999, compte tenu du fait que pendant près de deux décennies, la température, la radiation solaire et la disponibilité en eau, influencées par le changement climatique, étaient favorables à la croissance (R. Nemani et al, 2003).

Toutefois, dans une autre étude de 2010 publiée dans la revue Science, Zhao et Running ont découvert que « l’effet de la sécheresse régionale a pris le dessus sur l’effet positif d’une saison de croissance plus longue, réduisant la production mondiale des plantes entre 2000 et 2009 ». Leur analyse démontre que depuis 2000, les écosystèmes de hautes latitudes de l’hémisphère nord ont toujours bénéficié de températures plus chaudes et d’une saison de croissance plus longue, mais cet effet a été compensé par une sécheresse associée au réchauffement qui a limité la croissance dans l’hémisphère Sud entrainant une perte mondiale nette de la productivité des terres (Zhao et Running, 2010).

Changements climatiques, zones humides et santé humaine

Les effets des changements climatiques sur les écosystèmes de zones humides pourraient également avoir des conséquences sur la santé humaine, tant directement qu’indirectement. Il est probable que le souci majeur ait été les changements possibles dans la gamme et la saisonnalité des épidémies d’infections causées par les moustiques qui affecteront dans une certaine mesure un grand nombre de régions du monde. Les régimes hydrologiques vont changer dans certaines parties du monde: la rivière Komadugu-Yobe par exemple, qui marque la séparation entre une partie du Nigeria et du Niger a, au cours du 20ème siècle, dévié de son cours. Par voie de conséquence, l’un des pays pourrait agrandir son territoire sur la première partie de la rivière et perdre des terres sur la deuxième. La quantité d’eau de la rivière a également diminué et cours d’eau devient moins profond en raison du sable qui se dépose dans son lit.

Sur une petite échelle, les changements ont des répercussions sur les habitants de la région. L’un des impacts les plus problématiques est l’érosion de la rive. Des habitations et terres arables ont été détruites ou sont menacées par la rivière (Martinsson, 2010) ...., la pluviosité pourrait diminuer ; il y aura une pénurie d’eau potable dans certaines communautés avec des conséquences sur l’hygiène et le système sanitaire. Il est probable qu’une augmentation du nombre d’accidents, des déboitements, et même des décès résulteront du nombre croissant des évènements météorologiques extrêmes, lorsque des personnes vivent dans ou près de zones humides prédisposées aux inondations, aux tempêtes, cyclones et feux de brousse très violents. Il existe également des risques accrus d’intoxication alimentaire, d’infection à salmonella et Campylobacter, et d’autres bactéries sensibles à la température (Confalonieri, et al, 2007). Tous ces risques pour la santé humaine pourraient se manifester tous ensemble à des moments et endroits particuliers, rendant la gestion des conséquences sur la santé humaine très difficile.


Rôle des zones humides en tant qu’élément fédérateur

Le réseau des zones humides du monde s’étend de la montagne à la mer et des forêts tropicales humides aux déserts. Toutes les catégories de paysages ont leurs types de zones humides, y compris le désert du Sahara. Les zones humides et les forêts sont interdépendantes et il importe de les gérer de façon intégrée. Nous vivons dans un monde interdépendant et les zones humides nous lient tous. Le Nil par exemple, fournit l’eau et nourrit plus de 200 millions d’habitants répartis sur 10 pays avec un bassin représentant 10.3% du continent africain. Le Bassin du Nil a un ensemble de lacs couvrant 81500 km2 et renferme 70 000 km2 de marais. Les pays du bassin du Nil sont particulièrement sensibles à la disponibilité de l’eau qu’offre le Nil, ses affluents, ses lacs et ses marais. C’est l’une des régions du monde où la stabilité politique entre les pays voisins est directement liée à la disponibilité en eau.

L’eau douce que fournit les zones humides était partagée entre 300 millions de personnes il ya 2000 ans. La même quantité d’eau douce doit supporter plus de 5,7 milliards de personnes aujourd’hui et plus de 9 milliards de personnes en 2050. C’est dire que le monde doit se ressaisir car, avec les risques de pollution, les sécheresses et les inondations qui se répètent avec des intensités et des fréquences de plus en plus grandes, les risques sont grands de mettre en danger les générations futures.

Aucun pays soucieux de l’avenir des ses citoyens actuels et futurs ne peut se passer de gérer ses zones humides. Toutes les civilisations anciennes qui ont failli dans la gestion de l’eau et des zones humides ont disparu. Pourtant le monde continue à dégrader les écosystèmes des fleuves, des lacs, des tourbières, et des zones humides côtières.

Liens entre changements climatiques, zones humides et conséquences à court, moyen et long terme sur l’agriculture

La majeure partie des effets d’un climat de plus en plus extrême sur notre monde futur se ressentira à travers l’eau : dans certains cas, une trop grande quantité aux mauvais moments et endroits, dans d’autres cas, très peu ou rien où le besoin est grand. Les inondations et sécheresses vont de façon croissante affecter les systèmes d’utilisation des terres, en particulier l’agriculture.

Les messages clairs de l’Évaluation des Écosystèmes en début de millénaire (MA) sur l’eau, l’agriculture et les écosystèmes (Robert T. Watson et al (2005) ont été renforcés par le rapport du PNUE GEO-4 (PNUE, 2010). Le rapport GEO-4 souligne qu’environ 70% de l’eau disponible en provenance des fleuves et autres zones humides sont déjà utilisés pour l’agriculture irriguée, mais pour atteindre entièrement l’Objectif du Millénaire pour le Développement (OMD) en rapport avec la réduction de la faim, il faudra doubler la production alimentaire d’ici 2050, ce qui implique que la demande en eau d’irrigation va augmenter de façon substantielle. Pourtant, au même moment que la disponibilité d’eau potable est à la baisse, une augmentation de l’utilisation de l’eau est prédite d’ici 2025. Cette augmentation serait de 50% dans les pays en voie de développement et de 18% dans le monde développé. Ainsi, le fossé entre l’offre et la demande semble toujours s’agrandir, pendant que la gouvernance mondiale et nationale, largement sectorielle, prend des mesures insuffisantes pour s’attaquer à cet important défi.

Les conséquences aussi bien de la variabilité du climat actuel que des changements climatiques à long terme, se font le plus sentir dans les pays en développement, et elles affectent surtout les plus pauvres dans ces régions, en particulier les exploitants pauvres. Les récentes inondations au Pakistan illustrent la portée des inondations inattendues et l’ampleur des dégâts que ce genre d’inondations peuvent causer à l’agriculture. Les dommages immédiats causés par les eaux ont entrainé un désastre, avec des crues qui ont inondé les zones cultivables, détruisant l’économie basée sur l’agriculture et entrainant des risques de crise alimentaire. Les autorités de la région ont estimé qu’environ 50 000 hectares de terres le long du fleuve Swat ont été emportés, et qu’il faudra jusqu'à 10 ans pour rétablir la fertilité de cette région critique qui nourrit actuellement 50’ 000 personnes.

Les sécheresses et leurs effets dans les régions du Sahel en Afrique, ont fait l’objet d’intenses recherches depuis 1970, parce que la variabilité climatique dans ces régions a entrainé une insécurité alimentaire dans de nombreux pays Sahéliens. L’agriculture dans cette région dépend presqu’entièrement de trois mois de pluie en été, excepté le long des rives des principaux fleuves, lacs et autres cours d’eau saisonniers.

Il faut noter le cas du bassin du lac Tchad, où j’ai eu l’occasion de superviser l’Analyse Diagnostique Transfrontalière (ADT) et la préparation d’un Programme d’Action Stratégique (PAS) de 2003 à 2007, afin d’identifier et d’analyser les causes de la dégradation du sol et de l’eau, et de proposer un PAS dans le but d’inverser la tendance à la dégradation. Une équipe de 30 experts a coopéré de façon étroite avec un groupe varié de parties prenantes afin de préparer l’ADT qui a révélé les résultats suivants (Projet FEM du Bassin du Lac Tchad, 2007) :

Le lac Tchad avec une superficie maximale de 25’000 km2, est constitué de bassins morphologiques distincts qui deviennent plus visibles quand l’eau monte. Bien que ce soit un bassin enclavé dans une région aride, il a une salinité relativement basse. Une préoccupation majeure en matière de ressources en eau du lac est la diminution de sa surface, avec une étendue actuelle de moins de 3000 km2. Le retrait du lac a produit un effet négatif sur les projets d’irrigation à grande échelle au Nigeria, l’agriculture de récession au Niger, au Cameroun et au Tchad, entre autres. Le problème majeur est la variabilité du régime hydrologique et la disponibilité de l’eau potable : ce qui a un rapport avec la réduction spectaculaire en eau potable disponible dans le bassin du Lac Tchad dont la meilleure preuve est la réduction de 95% du volume du Lac, de 1963 à 2007. Il y a également un rapport avec une variabilité notable dans les régimes hydrologiques des rivières qui l’approvisionnent, ainsi que les régimes de précipitations de la région, aggravés par la pression démographique, l’insuffisance de la prise de conscience sur les questions environnementales et l’absence de développement durable dans les programmes politiques des pays riverains. Cet état de fait a entrainé une réduction constante de l’accès à l’eau, de mauvaises récoltes, la perte de bétail, l’effondrement des pêches et d’autres services fournis par les zones humides de la région. Les conséquences socio-économiques de ces effets comprennent l’insécurité alimentaire et une péjoration de l’état de santé de la population. La pénurie d’eau est considérée comme étant le problème le plus important, pas seulement à cause des effets et des conséquences mentionnés ci-dessus, mais également parce qu'elle entraine ou contribue à d’autres problèmes, y compris un cercle vicieux puisque les pénuries entraînent davantage d’utilisations non durables des ressources, et par conséquent davantage de dégradation. La conséquence socio-économique nette est une aggravation de la pauvreté en raison du manque de ressources.

Avec quelque 120 espèces de poissons, ainsi que 372 espèces d’oiseaux, le lac se révèle être un point stratégique pour une biodiversité globale. Toutefois la pénurie en eau contribue à une perte en biodiversité et une perte accrue et modification des écosystèmes : le lac par exemple s’est transformé d’une eau libre en un environnement marécageux, et environ 50% des zones humides ont été détruites. Les effets de ce phénomène se font le plus sentir dans l’effondrement de certaines pêcheries, de la riziculture de récession, ainsi que la sédimentation des rivières et autres cours d’eau qui ont entrainé la colonisation des sites envasés par les espèces envahissantes : l’herbe Typha est un problème majeur dans le bassin de la Komadugu Yobe, et les quéleas sont des oiseaux nuisibles envahissants répandus dans tout le bassin. Les plantes et oiseaux envahissants sont dans une large mesure, la conséquence d’une mauvaise gestion des ressources en eau, d’une mauvaise application des règles et normes environnementales et de l’absence de planification de l’utilisation des ressources. L’herbe Typha bloque les débits des rivières et dévie leur cours, pendant que le quélea détruit les cultures, contribuant conjointement à la pauvreté par la perte des moyens de subsistance.

Il est urgent de reconnaître le rôle déterminant que les zones humides jouent dans le cycle de l’eau au niveau mondial, par la rétention et le traitement de l’eau, et d’apprécier le fait que presque toute l’eau que nous utilisons provient directement ou indirectement des zones humides.

Le rôle de la gestion des zones humides en réponse aux urgences environnementales et sociales

L’agriculture nécessite des systèmes biologiques durables tels que des terres fertiles, et des zones humides et des forêts saines pour assurer sa durabilité, c'est-à-dire, la capacité des systèmes biologiques à demeurer variés et productifs à travers le temps. La gestion des zones humides est l’un des moyens d’accroître la résistance des écosystèmes hydriques afin de soutenir et encourager la conservation des terres et de l’eau, des plans d’irrigation durables, l’agroforesterie, l’aquaculture, et l’approvisionnement en matières premières et en fourrage pour le bétail, etc. La mise en œuvre de techniques innovatrices en matière de conservation des terres et de l’eau ainsi que l’agroforesterie sont en cours dans la région Sahélienne de l’Afrique, y compris le bassin du lac Tchad. Par exemple, de nombreux villages ont développé leur propre système de contrôle de l’érosion dans le but d’augmenter la capacité des zones humides à soutenir l’agriculture. Il est encourageant de savoir que les exploitants Sahéliens sont tout à fait conscients que les pluies sont peu fiables et qu’ils s’efforcent de mieux utiliser l’eau disponible. En outre, il existe actuellement des milliers d’organisations d’exploitants, des petits projets d’ONG, de grands projets internationaux de développement et des programmes visant la réhabilitation de l’environnement, la conservation des terres et de l’eau et d’autres formes d’appui aux populations rurales.

Le développement de Partenariat

Le 40ème anniversaire est l’occasion avant tout de renforcer les partenariats entre tous les utilisateurs des terres et des eaux pour contribuer ensemble au développement durable à travers une bonne gestion des Zones Humides. Les acteurs et secteurs suivants, utilisant les zones humides ou influençant la conservation des zones humides sont appelés à collaborer en tant que partenaires de la Convention pour faire des zones humides un réel atout de développement économique, social et culturel:

  • Les ministères chargés de l’environnement, de l’eau, de la faune, de la pêche, de l’agriculture, de l’élevage, de la santé, de ‘énergie, du tourisme, des mines, et des changements climatiques
  • Les organisations chargées de la gestion de l’eau
  • Les collectivités territoriales et les villes
  • Les ONGs
  • Tous les groupes d’utilisateurs des services fournis par les zones humides

La célébration du 40ème anniversaire de la Convention de Ramsar sur les Zones Humides se fait dans tous les pays ayant adhéré à la Convention ainsi qu’à travers les activités des partenaires de la Convention. Vous pouvez consulter la section spéciale de notre site Web consacrée au 40e anniversaire, à l'adresse www.ramsar.org/40-Anniversaire/.



La Convention de Ramsar et le secteur privé

Les relations de la Convention de Ramsar avec le secteur privé s’est faite prudemment et lentement. Le premier partenaire de la Convention est le Groupe Danone qui appuie les efforts de conservation et d’utilisation des zones humides. Depuis 1998, le Groupe Danone apporte un soutien financier considérable à la Convention de Ramsar.

En effet, le Fonds « Danone - Evian pour l’eau » s’engage en faveur de la protection des zones humides dans le monde en contribuant au développement d’une meilleure connaissance des enjeux majeurs liés à l’eau et aux zones humides. Ce partenariat pionnier a permis de créer des synergies entre le secteur privé, les décideurs nationaux et internationaux et le grand public afin de faire prendre conscience de l’importance de la préservation des ressources en eau et des zones humides ainsi que leur utilisation durable, notamment grâce à des échanges de compétences et de savoir-faire dans la gestion des sites naturels. 

Les axes stratégiques et les objectifs du partenariat pour 2011-2015 entre le Groupe Danone - Evian et le Secrétariat de la Convention de Ramsar sont :

  • accroitre la visibilité et la communication auprès du public sur la Convention de Ramsar et sa mission, sur les actions engagées avec Danone / Evian en faveur des zones humides et sur le partenariat lui-même;
  • mettre en valeur les atouts et résultats du partenariat;
  • développer ensemble des projets et initiatives œuvrant à préserver, restaurer et conserver les zones humides dans le monde.



Bien que la Convention de Ramsar ait quarante ans d’action, les seuls partenaires relevant du secteur privé sont à ce jour le Groupe Danone avec sa filiale le d’Eau d’Evian et le consortium de compagnies aériennes dénommé « Star Alliance ». Le partenariat vécu avec le Groupe Danone a permis de tirer des leçons d’expérience qui permettront d’envisager un partenariat plus élargi et bien ciblé avec le privé.



Conclusions

Défis majeurs

Les zones humides sont les infrastructures naturelles qui reçoivent l’eau, l’épurent, la stockent, la transportent et la distribuent à des utilisateurs multiples que sont les villages, les villes, les agriculteurs les pêcheurs,, les éleveurs, les gestionnaires des parcs nationaux et des réserves naturelles, les industriels, les opérateurs touristiques, et tous les autres êtres vivants. Nous oublions souvent que l’eau est indispensable à la vie et que sans les zones humides nous n’auront plus d’eau douce à notre disposition. Le monde oublie souvent aussi que l’eau n’a pas de substitut et qu’elle est difficile à transporter. Nous n’avons pas d’autre choix que celui de la gestion : gestion des zones humides, gestion de l’eau qu’elles nous offrent gratuitement, gestion de la qualité et des quantités d’eau, gestion des conflits liés à l’eau, gestion des catastrophes naturelles du fait du manque d’eau ou gestion des catastrophes que peut causer l’excès d’eau. Nous ne pouvons pas maitriser la nature. Nous devons la gérer.

Les zones humides, l’eau, et la diversité de la vie sont intimement liées. Ce sont des éléments transversaux qui nous exigent de collaborer aux niveaux local, national et international. Le partenariat pour la vie s’impose si nous voulons relever les défis que posent les changements climatiques, la pollution de l’eau par l’industrie, l’agriculture intensive, l’urbanisation et ses déchets, et les besoins en eau de plus en plus grandissants. La Convention de Ramsar se doit de contribuer et de faire grandir ce partenariat indispensable pour les générations actuelles et futures.

Pour s’adapter aux changements climatiques, il faudra reconnaitre et renforcer le lien entre les zones humides et leurs services fournis aux sociétés, en particulier l’approvisionnement en eau potable et en vivres en provenance des zones humides. La gestion efficace, y compris la réhabilitation des zones humides dans des scénarios de changement climatique prévisible, devrait également satisfaire les besoins humains fondamentaux en matière d’alimentation et d’eau, tout en gardant à l’esprit qu’une demande croissante pour l’alimentation et l’eau pourrait également entraver la gestion des zones humides.

A cet effet, un fort partenariat entre les différents acteurs est nécessaire, et à cet égard le travail conjoint en cours entre la Convention de Ramsar et les divers partenaires, y compris le Système des Nations unies, les ONG et le secteur commercial, contribue à :

  • Un meilleur suivi hydrométéorologique fournissant des données fiables pour une gestion éclairée des zones humides ;
  • Une meilleure reconnaissance du rôle des zones humides en tant qu’infrastructures naturelles vitales méritant une attention particulière, en raison du fait que la gestion efficiente des zones humides fournit le mécanisme le plus robuste et résistant pour la gestion de l’eau dans des conditions d’incertitudes climatiques ;
  • Une meilleure compréhension du rôle des zones humides en relation avec l’adaptation et l’atténuation des changements climatiques ;
  • Davantage d’attention aux mesures qui peuvent être mises en œuvre à court terme pour accroître la résistance et la robustesse des écosystèmes de zones humides ;
  • Une action collective accrue pour résoudre les problèmes de gestion et de conservation dans les zones critiques telles que les systèmes transfrontaliers, y compris les fleuves et les lacs, les systèmes d’eau souterraine, les mangroves, les récifs coralliens, et les tourbières ;
  • Une meilleure compréhension, planification et gestion des systèmes intégrés naturels et d’origine humaine (ex. zones humides et irrigation) pour rendre compte de la protection contre les impacts négatifs des incertitudes du climat.


La Convention de Ramsar poursuit son œuvre sur la conservation et l’utilisation rationnelle de tous les types de zones humides en tant qu’atouts importants pour divers secteurs tels que l’agriculture et la sécurité alimentaire, la foresterie, l’énergie, l’approvisionnement en eau, la santé, les agglomérations urbaines et rurales, les infrastructures, le tourisme, la faune sauvage, le commerce et le transport qui contribuent au développement socio-économique durable. L’urgence de la situation n’en demande pas moins.

Plus:  Les Ateliers de la Terre Webpage.


[Ed. Note: This paper appeared on the Les Ateliers de la Terre - Planet Workshops website originally and a link to the PDF full text including bibliography is available in English and in French.]