Notre dangereuse indifférence à l’écosystème le plus riche du monde: les zones humides naturelles

22 août 2018

par Martha Rojas Urrego, Secrétaire générale de la Convention de Ramsar 

Depuis la nuit des temps, les peuples autochtones des Amériques révèrent la tortue marine, emblème de la Terre nourricière. Et les civilisations sont nombreuses, à travers le monde et les siècles, qui ont fait de cette créature fascinante, à la longue espérance de vie, le symbole de la sagesse, de la longévité et de l’endurance.

Pourtant, par notre absence collective, accablante, de conscience de l’importance des zones humides—les lieux de nidification de ces animaux impressionnants et fabuleux—ces tortues sont les espèces les plus menacées, les plus en danger, dans cet habitat. Cent pourcent des tortues marines sont menacées au plan mondial et 33 pourcent sont en danger critique d’extinction.

Les zones humides sont une source de vie irremplaçable—non seulement pour les tortues marines et beaucoup d’autres créatures mais aussi pour la prospérité de l’humanité. Notre avenir est lié, inextricablement, à ces milieux naturels.

Or, les zones humides sont extrêmement mal comprises et dangereusement sous-évaluées. Elles ont la particularité, double et paradoxale, d’être à la fois l’écosystème le plus productif de la Terre et le plus en péril, celui qui disparaît le plus vite. En vérité, de tous les écosystèmes, c’est celui qui retient le moins l’attention, même celle des spécialistes de l’environnement et des décideurs qui sont les mieux placés pour agir en faveur de sa protection.

Les termes « marécage » « lieu à l’abandon » sont, intrinsèquement, des appellations erronées qui propagent des mythes et des connotations nuisant à la protection de ces milieux précieux, lesquels, en réalité, regorgent de vie, de services et de valeurs pour la société tout entière.

À l’échelon mondial, les zones humides couvrent plus de 12,1 millions de kilomètres carrés. Ce sont des fleuves, des cours d’eau, des lacs naturels, des mares et des aquifères; des tourbières de toutes sortes, y compris des fondrières et des fagnes; des marais et des marécages, y compris des plaines d’inondation; des lagunes et des estuaires côtiers, notamment des étendues intertidales dépourvues de végétation et des marais salés; des herbiers marins, des mangroves, et des deltas côtiers; des zones humides artificielles comme les rizières; et nos récifs coralliens voués à une disparition rapide—sans compter les autres espaces terrestres spécifiquement définis qui sont saturés d’eau ou inondés, de manière saisonnière ou en permanence.

Les services que les zones humides offrent à la société sont nombreux, importants et surprenants. Les mangroves protègent les littoraux de Sri Lanka et de la Malaisie contre les assauts dévastateurs des tsunamis, des ouragans et autres tempêtes. Les zones humides africaines sont garantes de la sécurité alimentaire grâce à leurs riches pêcheries et sont parfois la seule source d’eau pour la consommation, la cuisine et la lessive – contribuant à la survie de communautés entières plongées dans une extrême pauvreté. Les tourbières sont le plus vaste réservoir de carbone de l’Europe, un continent touché par la déforestation depuis la préhistoire et l’époque préindustrielle. Les zones humides d’importance cruciale de l’Amérique du Sud préservent dix pourcent de la biodiversité mondiale le long de l’Amazone—ce qui a des incidences directes sur le climat, le stockage du carbone et notre capacité de découvrir de nouveaux médicaments pour sauver des vies, d’obtenir des aliments, de faire progresser la recherche scientifique et de créer des textiles indispensables tout en permettant aux économies régionales de bénéficier de l’écotourisme. Les zones humides côtières de Chine, notamment celles de la région de Shanghai et celles qui longent la mer Jaune—à mi-chemin sur la voie de migration Asie de l’Est-Australasie—accueillent environ 500 espèces d’oiseaux migrateurs qui se déplacent entre leurs lieux de reproduction de l’Arctique et leurs habitats d’hivernage d’Asie du Sud-Est et de l’hémisphère sud. Et c’est loin d’être négligeable, dans les sables de Cancun, au Mexique, et d’ailleurs, les zones humides servent de lieux de ponte aux précieuses tortues marines.

En Europe, en Asie, dans les Amériques, en Afrique, en Australie, où que ce soit sur la planète, les zones humides sont utiles à tous les peuples. Leur destruction continue aura des conséquences, des répercussions imprévues sur toutes les économies du monde et sur chacun d’entre nous.


Du 21 au 29 octobre, les représentants de 170 pays se réuniront à Dubaï, aux Émirats arabes unis, à l’occasion de la 13e Session de la Conférence des Parties contractantes (COP13) à la Convention de Ramsar sur les zones humides (la Convention de Ramsar). Signée en 1971 à Ramsar, Iran, la Convention de Ramsar est un accord international sur la conservation et l’utilisation durable des zones humides de la planète – à noter que c’est le seul traité mondial consacré à un seul écosystème.

La COP13 se réunit en un moment critique. Les zones humides de notre planète disparaissent plus vite que nos forêts—au rythme alarmant de un pourcent par an. Les décisions et les mesures prises par cette Conférence seront déterminantes dans leur contribution à la réalisation des Objectifs de développement durable (ODD).

Une brève mais encourageante fenêtre d’opportunité s’ouvrira en octobre et nous devons saisir cette occasion pour prendre la parole, enseigner au monde l’importance critique des zones humides et inciter les décideurs à agir de façon déterminée et positive. Dans le monde entier, les législateurs doivent inscrire les zones humides dans les programmes politiques et investir dans leur pérennité. Et nous, les citoyens du monde, nous devons nous donner la main, à titre personnel et professionnel, et prendre les devants dans nos propres communautés pour devenir les défenseurs fidèles de cet écosystème inestimable et irremplaçable—qui nous sert loyalement, par une myriade de moyens évidents ou merveilleusement mystérieux.                                                                      

Nous sommes les seuls à pouvoir sauver cet écosystème qui disparaît rapidement et que nous sous-évaluons, à nos risques et périls.

Et nous le devons—parce que sans les zones humides, nous sommes tous menacés.