Quand avez-vous pris conscience de la valeur des zones humides pour la population de Guinée-Bissau ? Et comment avez-vous découvert la Convention sur les zones humides et son utilité dans le cadre de votre travail ?
J’ai pris conscience de la valeur des zones humides il y a 25 ans, à l’occasion de la préparation du programme national de planification de la zone côtière, piloté avec l’assistance technique de l’UICN et qui a mis en lumière le rôle des zones humides. Dans ce cadre la principale zone humide du pays, les lacs de Cufada, a été classée en zone humide d'importance internationale (Site Ramsar), une opération qui a constitué une opportunité pour faire comprendre les valeurs et les fonctions des zones humides. Dans ce double contexte et forte de l’éveil des consciences favorisé par cette dynamique, j’ai été amenée a prendre en considération la demande d’assistance des communautés des iles Urok dans l’archipel des Bijagós pour les soutenir dans leurs efforts de conservation de leurs ressources des agressions des pêcheurs non résidents et, plus tard, des projets de tourisme qui envisageaient l’exploitation d’une ile sacrée.
Que pouvez-vous nous dire de votre travail avec la Convention sur les zones humides – pouvez-vous nous en dire plus, notamment sur l’importance de la Convention et sur son impact en Guinée-Bissau?
La Convention a permis de classer et de protéger la principale zone humide de la GuinéeBissau, à savoir les lacs de Cufada, qui sont à la fois le principal réservoir d’eau douce de la région de Quínara (au sud du pays) et un haut lieu de la biodiversité. Le travail fait autour de ce classement, que Tiniguena a diffusé a travers une campagne de sensibilisation sur Cufada, a contribué à faire émerger une conscience nationale sur les valeurs des zones humides. Cela s’est avéré d’autant plus important qu’une grande partie du pays, avec son système de rias et ses larges formations de mangroves d’une part, et la présence de l’Archipel des Bijagós d’autre part, peut-être considérée comme une vaste zone humide.
Utilisez-vous la Convention et ses lignes directrices? Si oui, de quelle manière?
Nous utilisons essentiellement les lignes directrices de la Convention pour nous inspirer des principes et valeurs préconisés pour l’utilisation responsable (wise use) des écosystèmes des zones humides. Nous espérons, dans un futur proche, être en mesure de faire classer le Complexe des îles Urok (Reserve de Biosphère de l’Archipel des Bijagós) comme un site Ramsar. En effet, le site se caractérise par des populations importantes d’oiseaux d’eau migrateurs, la présence de vastes superficies de vasières intertidales et de mangroves.
Il semble que vous travaillez volontiers en collaboration, en incluant des ONGs et des services gouvernementaux ainsi que des représentants des communautés locales et indigènes. Pourriez-vous nous en dire plus sur votre approche ?
Le travail actuel de Tiniguena dans l’Aire Marine Protégée Communautaire des îles Urok consiste fondamentalement à animer un processus de gouvernance participative de cette AMPC, encourageant une forte implication des communautés locales, ainsi que la participation d’autres acteurs tels que les autorités traditionnelles et administratives locales, l’organe central de tutelle des AMP (l’IBAP), le service national chargé de la surveillance maritime (Fiscap), l’institution de recherche et suivi halieutique (CIPA), la Direction de la Pêche Artisanale (Pescarte), qui font tous partie de la table de concertation de l’AMPC Urok. La concertation se structure autour des organes de gestion qui permettent de prendre des décisions collégiales en assemblée générale annuelle où tous les villages des 3 îles du complexe sont représentés, orientés par les avis du Conseil Technique et Scientifique et validés par le Conseil des Anciens. Tiniguena soutient en plus un processus d’animation socioculturel intense impliquant fortement les jeunes, afin de favoriser des nouvelles synthèses culturelles permettant de faire le pont entre la tradition et la modernité. Tiniguena appuie des initiatives de développement communautaire permettant d’améliorer le cadre de vie des résidents, ce qui renforce davantage l’adhésion d’un éventail chaque fois plus large des populations résidentes.
Quel serait votre message aux lecteurs sur l’importance de l’utilisation rationnelle des zones humides?
Dans les pays du Sud comme la Guinée-Bissau, les ressources naturelles occupent une place prépondérante tant pour l’économie que pour la sécurité alimentaire des populations. Pour maintenir la productivité de ces ressources renouvelables, il faut maintenir des écosystèmes en bonne santé. Pour y parvenir il est essentiel que les communautés conservent la maîtrise de leur territoire et bénéficient de droits d’accès prioritaire reconnus. En effet, si on leur donne les moyens, la confiance et des garanties à long terme du respect de leurs droits, ces communautés sont les mieux placées et intéressées pour assurer une utilisation rationnelle des zones humides. Par leur culture, par leurs savoirs, par leur dépendance vitale aux ressources naturelles, elles sont les véritables gardiens et garants de leur durabilité.
Comment les lignes directrices, les principes ou la mission de la Convention cadrent-ils avec votre philosophie et le programme de Tiniguena?
La philosophie et le programme de Tiniguena s’appuient sur les principes suivants:
- L’approche participative dans la conception des projets et la gestion des zones humides et de leurs ressources;
- La reconnaissance des savoirs locaux et leur valorisation dans la gestion des espaces et ressources naturelles;
- La reconnaissance des droits d’accès prioritaire ou exclusif aux communautés résidentes ;
- Le suivi participatif de quelques indicateurs de la situation des ressources et du bien être des communautés;
- L’importance de l’information, de la sensibilisation et de l’éducation des communautés locales, du grand public ainsi que des décideurs et de toute la société.
Ces différents principes qui guident l’action de Tiniguena rejoignent, dans leurs grandes lignes, les principes de la Convention.
Quelle est votre réaction à la nouvelle que le Prix Ramsar vous a été décerné ? Allez-vous utiliser ce Prix pour obtenir un “effet de levier” pour accomplir vos objectifs à l’avenir?